Danyèl Waro.

Publié le par Raimbourg Frantz-Minh

Fidèle à la tradition acoustique du maloya, Danyèl Waro  (Daniel Hoareau à l'état-civil) est sans conteste l’ ambassadeur le plus connu d’une musique désormais classée (depuis le 01 octobre 2009) au patrimoine immatériel de l’UNESCO. Nous avons profité de sa présence en Île-de-France à l’automne dernier pour évoquer avec lui son engagement et sa carrière.
Centre Culturel Paul Bailliart. Massy. Novembre 2019 (Photo : Frantz-Minh Raimbourg)

Centre Culturel Paul Bailliart. Massy. Novembre 2019 (Photo : Frantz-Minh Raimbourg)

Parlez-nous de votre enfance !
Je suis né à la Réunion au milieu des années 1950 à Trois Mares, un quartier du Tampon, la quatrième plus importante commune de l’île en nombre d'habitants. Mon père, un ancien travailleur journalier avait acheté trois hectares de terrain qu’il cultivait. On habitait dans une case où il n’y avait  ni électricité, ni eau courante. Je suis le quatrième enfant d’une fratrie qui en comptait douze. On avait peu de temps pour jouer, les distractions étaient rares et les seules musiques que je pouvais entendre étaient celles qui passaient à la radio et à la télévision.
A 15 ans, grâce aux disques de ma sœur, j’ai découvert Georges Brassens. J’avais le goût des mots et les chansons du poète sétois m’ont donné envie d’écrire au service de notre  langue créole.
A cette époque, vous ne pouviez pas écouter du maloya ?
Non, cette forme musicale  héritée du temps de l’esclavage et  qui a des racines à la fois africaines, indiennes et malgaches était officieusement interdit. Il ne survivait que dans quelques familles. Mon père était un militant du Parti Communiste Réunionnais (PCR), très populaire à l’époque. C’est ce mouvement qui a sauvé le maloya de  l’oubli. Il en a fait à l’époque une arme politique contre le pouvoir métropolitain. A partir de 1981 et l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, les différents acteurs  de ce blues de l’Océan indien ont été progressivement reconnus comme de véritables artistes porteurs d’une tradition.
La première fois  que j’ai pu vraiment entendre et voir du maloya, ce fut lors d’un concert de Firmin Wiry, organisé par « Témoignages » le quotidien local du parti. A l’écoute de cette  musique, j’ai pris pleinement conscience de mon identité réunionnaise. J’ai appris le rythme, commencé à construire mes propres percussions et j’ai fait mon premier concert en décembre 1975 avec un groupe composé de jeunes travailleurs agricoles.
Que s’est-il passé ensuite ?
Après mon échec au baccalauréat, je devais effectuer mon service militaire. J’ai refusé de porter l’uniforme et j’ai écopé de 22 mois de prison en métropole. J’étais loin de ma famille, de mon pays… C’est dans ma cellule de détention à Ecrouves,  dans le département de Meurthe-et-Moselle que j’ai commencé à écrire mes premiers textes. Ils ont été publiés en 1978 sous le titre «Romans ékri dan la zol an Frans ».
Lors de mon retour sur l’Île, j’ai participé à de nombreuses cérémonies kabars et j’ai collaboré (jusqu’en 1984) avec la Troup Flanboiyan créée quelques années plus tôt par mon frère Gaston et dont le répertoire était constitué de chansons très engagées. Dans le même temps, je vivais de la fabrication d’instruments de musiques, des stages que je donnais et des interventions dans les écoles. Je n’avais pas la prétention de faire carrière avec ma musique. C’est une réalité qui est venue progressivement…
Au milieu des années 1980, j’ai accompagné Lo Rwa Kaf sur scène notamment à l’Unesco et au festival Musiques Métisses d’Angoulême. J’ai enregistré ma première cassette (« Gafourn ») en 1987 avec le soutien du groupe Ziskakan et de Gilbert Pounia.
Centre Culturel Paul Bailliart. Massy. Novembre 2019 (Photo : Frantz-Minh Raimbourg)

Centre Culturel Paul Bailliart. Massy. Novembre 2019 (Photo : Frantz-Minh Raimbourg)

A quel moment vous êtes vous produit sous votre propre nom ?
C’était en 1990 à Tokyo au Japon. Je suis revenu l’année suivante en métropole à nouveau à Angoulême puis à Paris pour Africolor.
L’album « Batarsité » est paru en 1994, puis ce fut « Sega la pente » avec François Guimbert deux ans plus tard. A la même époque, il y a eu la sortie d un recueil de poèmes en créole publiés sous le titre de "Démavouz la vi". « Foutan Fonker » (1999) sous le label Cobalt a été récompensé par le grand prix de l’Académie Charles-Cros. En février 2002, « Bwarouz » était dans les bacs avant la parution un an plus tard de  "Rest’la maloya", un, hommage collectif à Alain Péters monté avec  Loy Ehrlich, Joël Gonthier, René Lacaille,  Bernard Marka et Tikok Vellaye. "Sominnkèr" (2003) avec Olivier Ker Ourio, jazzman et harmoniciste réunionnais a été  la première rencontre entre maloya et jazz. Il y a eu ensuite  « Grin n syel » en 2006, « Aou Amwin » (Avec le groupe corse A Filetta et le Sud Africain Tumi) en 2010, « Kabar » (en public) en 2013 et « Monmon » en 2017.
Vous avez continué à vous engager politiquement ?
Le maloya est indissociable d’une manière de vivre. Ma bataille a toujours été plus artistique que politique et dès l’origine en faveur de notre  musique, des défavorisés, de notre langue…mais également pour la nature, notre environnement…tout ça, ça va ensemble ! A l’occasion des élections régionales de 1998, j’étais candidat sur la liste « Nasyon rényoné dobout » qui prônait en particulier une plus grande place pour le créole. Nous n’avons obtenu que  0,77% des suffrages, le combat est loin d'être terminé !
Festival Eurofonik. Nantes. Avril 2014. (Photos : Frantz-Minh Raimbourg)
Festival Eurofonik. Nantes. Avril 2014. (Photos : Frantz-Minh Raimbourg)

Festival Eurofonik. Nantes. Avril 2014. (Photos : Frantz-Minh Raimbourg)

Comment composez-vous et écrivez-vous ?
Je ne prépare pas d’albums… Je fais des chansons quand ça vient, lorsque que j’ai envie de parler de quelque chose qui me met en colère ou qui me fait plaisir. Les textes et les musiques viennent en général en même temps, même si pour moi le maloya, c’est d’abord le mot avec son propre rythme, sa couleur et sa cadence. Les musiciens arrivent après. Je leur propose une mélodie et des paroles terminées, ils me mettent « dans un cadre » rythmique et  musical plus défini, j’accepte (ou pas) leur proposition (rires) et puis on enregistre.
Comme on a pu le voir, vous avez collaboré avec de nombreux artistes venus de scènes musicales parfois bien éloignées du maloya ?
Je suis toujours très honoré d’être invité à chanter  mes chansons avec leur propre façon de faire, que ce soit avec le jazzman Olivier Ker Ourio, A Filetta, Titi Robin, Tumi ou d’autres. En revanche, je suis bien incapable de réinterpréter leur répertoire, je ne sais pas entrer dans leurs univers…
Votre dernier album (« Tinn tout ». Label Cobalt) est sorti en 2020 ?
Il a été enregistré avec les musiciens qui m’accompagnent sur scène depuis quelques années, parmi lesquels mon fils Bino au studio Oasis, un lieu historique de l’industrie musicale réunionnaise. Parmi les titres, il y a une nouvelle adaptation du répertoire de Georges Brassens ("Je me suis fait tout petit"), un texte ancien écrit durant mon séjour en prison en 1975 et encore jamais mis en musique et un hommage à Dédé Lansor, une figure du maloya.

Au sujet d'Alain Péters :
Il est devenu bien malgré lui une légende, un mythe. J’ai eu la chance de le connaître quand il venait à la maison et qu’il prenait sa guitare pour nous interpréter ses chansons. Parfois, il dormait chez nous, Il n’avait pas une vie familiale tranquille… Alain s’est mis au service de la création créole mais à sa façon. Malheureusement, il buvait trop, il était ingérable et n’a jamais pu exister réellement sur scène sous son propre nom.

                    Entretien réalisé à Massy en décembre 2019 par Frantz-Minh Raimbourg.

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