Ann O'Aro.
Entretien avec la jeune chanteuse réunionnaise (Anne-Gaëlle Hoarau, de son vrai nom) à l’occasion de la sortie de son bouleversant et puissant premier album.
Comment s’est faite votre rencontre avec le maloya ?
Mes parents étaient fonctionnaires, ils avaient envie que leurs enfants « réussissent » et je pratiquais beaucoup d’activités sportives ou artistiques, la musique en particulier. Le maloya est arrivé dans ma vie beaucoup plus tard. Enfant, je n’avais pas l’occasion d’en écouter, ni le droit de m’exprimer en créole…
La première fois que j’en ai entendu parler, c’était au Québec quelques années après. J’avais un ami qui était « fan » de Danyel Waro. Je me suis mise en quête de découvrir cette forme musicale et de façon très étrange, j’ai rapidement eu l’impression que cela m’était familier alors que je n’y avais pas eu accès…
J’ai quitté le Canada, j’ai ensuite habité un certain temps à Paris et quand je suis revenue à la Réunion, je me suis mise à écrire en créole. Je suis allée dans les fêtes et/ou cérémonies kabars où la danse a un rôle primordial. J’avais commencé à mettre des mélodies sur mes textes, mais je ne savais pas les transcrire dans la « forme maloya ». Pour approfondir mes connaissances, j’ai travaillé avec Vincent Philéas qui enseignait au Conservatoire de Musique Réunionnaise. Dans le même temps, j’ai pris des cours de danse avec des amies du collège qui étaient devenues danseuses professionnelles et que j’accompagnais au piano. Un jour dans un kabar le producteur Philippe Conrath m’a « repéré », sans doute séduit par ma voix et mon interprétation et m’a proposé de participer à un spectacle de Danyel Waro. Jusque là, ma première expérience de scène se résumait à une pièce chorégraphique pour trois danseuses ; un mélange de danse contemporaine et d’art martial sur mon premier texte écrit en créole. Philippe m’a beaucoup aidé à me construire un répertoire et à trouver le bon environnement musical pour le transmettre.
Votre premier disque est sorti à la fin de l'année 2018 (Buda Musique. Cobalt) !
Quand on a décidé d’enregistrer l’album à la Réunion, on avait cinq jours ! J’avais préparé les arrangements mais je n’avais pas de groupe fixe. J’ai fait appel aux chanteurs et percussionnistes (kayamb, roulèr, sati, bob) Jean Didier Hoareau (le neveu de Danyel) et Willy Paitre qui sont arrivés la veille. On a fait trois jours supplémentaires de studio à Montreuil, dans la région parisienne avec Julien Rousseau (trompette, euphonium (tuba ténor)) et Fanny Ménégoz (flûtes, piccolo).
De quoi parlent vos chansons ?
Les textes de ce premier album sont plutôt autobiographiques. J’évoque entre autres les violences faites aux femmes dans la société réunionnaise, y compris l’inceste que j’ai vécu pendant mon enfance, commis par mon père. Celui-ci s’est suicidé alors que j’avais quinze ans… Dans les images du livret, je laisse transparaître la violence du vécu.
Mais parler de l’intime, même d'une façon poétique n’est pas une fin en soi, c’est peut-être le début de quelque chose d’autre…
Comment voyez-vous la scène ?
J’ai mis beaucoup de temps à trouver la bonne distance qui permet d’interpréter une chanson et de la rendre universelle, de la « mettre » hors de soi pour mieux la partager. Je pense maintenant et en toute modestie pouvoir « jouer » avec mes textes, les raconter, mettre de la nuance sur les mots, basculer de la gravité à la légèreté sur un même titre et pourquoi pas emmener l’auditeur dans une sorte de transe.
Et vos projets ?
Après la parution de l’album, le groupe s’est formé autour d’un Trio trombone, percussions, voix. En ce qui concerne les arrangements du prochain disque, ce sera un travail musical collectif, toujours du maloya, mais dans la continuité de ce que nous proposons actuellement lors de nos concerts.
Entretien réalisé à Massy en Novembre 2019 par Frantz-Minh Raimbourg.