René Lacaille (èk Marmaille).

Publié le par Raimbourg Frantz-Minh

Figure emblématique de la musique réunionnaise, René Lacaille revient avec un nouvel album enregistré avec ses enfants Marco et Oriane.
Photo: Coline Linder.

Photo: Coline Linder.

Racontez nous votre « enfance musicale » auprès de votre famille de musiciens de bal !
Mon père était paysan, bûcheron et il faisait de la musique par tradition, par goût et pour améliorer l’ordinaire, qui d’ailleurs…ne changeait guère ! Il jouait du trombone, de l’accordéon, du banjo et nous étions là, mes frères et moi pour l’accompagner ! Quand on n’en pouvait plus, il se transformait alors en homme orchestre (trombone, grosse caisse et cymbale avec les pieds !) ! Plus tard, dès l’âge de sept ans, je suis devenu batteur (au début, je ne pouvais pas toucher la pédale de la grosse caisse !) puis accordéoniste avant de passer à la guitare et au saxophone.
A l’âge de 16 ans, j’ai quitté la formation familiale pour devenir professionnel. Je vivais encore chez mes parents, alors je donnais mes cachets à ma mère…
A 20 ans, je suis parti en métropole pour faire mon service militaire. Mon père est mort en 1968 et je n’ai plus jamais collaboré avec lui…
Alain Peters a joué avec vous au sein du groupe Caméléon et vous lui rendez hommage au mois de septembre à La Réunion ! Pouvez-vous nous parler de celui qui est devenu, bien malgré lui, une légende !
Quand je l’ai rencontré à mon retour dans les années 70, il jouait de la musique pop (King Krimson, Yes, Genesis, Pink Floyd, Beatles et même Deep Purple !) C’était un super chanteur et un claviériste/bassiste très original. Nous avons formé ensemble les Ad Hoc, puis Caméléon avec Bernard Brancard et Loy Erlich.
J’étais le plus âgé, je « gérais » le groupe même si ce n’était pas toujours très facile... On écumait l’île, on vivait en communauté, on découvrait Bob Marley et Santana,… Même dans cet état, entre zamal (chanvre cultivé) et alcool, Alain assurait et s’il est devenu une sorte de mythe, on peut dire que c’est effectivement bien malgré lui !
On a aussi passé beaucoup de temps à improviser au Studio Royal et surtout à enregistrer pour d’autres : le projet « Chante Albany », les disques de Michou, d’Hervé mare… Tout cela a malheureusement disparu...
Au cours de votre carrière, vous avez collaboré avec de nombreux musiciens ! Comment s’est faite la rencontre entre le paysage sonore de la Réunion avec des styles aussi divers et venus de tous les continents comme par exemple le blues, le jazz, la salsa ?
Comme je le disais, je suis au départ un musicien de bal. A cette époque, on jouait du séga bien sûr, (pas question alors de maloya dans un orchestre !) mais aussi des boléros, du cha cha cha, des scottishs, mazurkas, polkas, valses, tangos, biguines, calypsos… tout ce qu’on pouvait entendre sur les disques et par l’intermédiaire des marins du Port qui ramenaient des rythmes et musiques de leurs voyages !
Les rencontres avec d’autres formes musicales sont venues au fil des années. Cela s’est fait tout naturellement et dans la logique des choses.
 
Photo: Dominique Cardinal.

Photo: Dominique Cardinal.

Parlons maintenant de votre dernier album. Que signifie Gatir ?
En créole réunionnais, c'est à là la fois la corde qui sert à lier les poissons, les feuilles qu’on ramasse pour faire le bouillon ou les gousses de vanille ! C'est aussi ce qui nous rattache aux traditions, aux rythmes des ancêtres, à notre "caillou" posé là-bas dans l'océan indien...
Pourquoi l’avoir enregistré avec vos deux enfants et dans quel état d’esprit a-t-il été réalisé ?
Je joue depuis très longtemps avec eux. Depuis l’âge de 14 ans, ils se sont intégrés à mes groupes. Ils ont maintenant respectivement 32 et 28 ans ! L’idée de monter un orchestre purement familial est un projet que je porte en moi, sans même y penser depuis l’enfance.
Dans ce disque qu’il a réalisé, Marco a écrit et composé quatre titres dont un instrumental. Ma fille a écrit une chanson. Les amis qui ont participé à l’enregistrement (Titi Robin, Niobé, Denis Péan, Richard Bourreau, Elisabeth Herault) sont des gens qui me sont proches musicalement et humainement, comme une grande famille… Le CD a été enregistré à la Fontaine du Mont chez Lo’Jo et tous les invités vivent autour d’Angers. Autre particularité : je renoue avec la guitare. J’y tenais, Marco et Oriane aussi et ce fut un plaisir de le faire !
Vos textes mettent en valeur votre langue maternelle ?
Oui, je pense et vis en créole réunionnais… C’est un langage très imagé qui utilise beaucoup le sous-entendu ou le double-sens. C’est pourquoi certains pensent à Bobby Lapointe en entendant certaines de mes chansons. Je suis touché parce que je l’adore !
Certains titres (Gatir, Lo Tandon) utilisent l’humour créole souvent basé sur l’autodérision ?
Oui, parce que je ne me prends pas très au sérieux ! On aime se moquer, on pratique ce qu’on appelle le moukataz !
Vous êtes aussi parfois critique contre certaines « institutions » (Père Fuzion) ?
Quand ce sont des pratiques qui favorisent un petit nombre de gens au détriment d’autres, je me permets de dire ce que je pense : Dans ce titre, je remarque que dans certains festivals, on ne rencontre que des artistes réunionnais subventionnés… ce qui coûtent moins chers aux organisateurs, certes, mais cela empêche des musiciens de notre île établis en France de travailler. Et il y a un risque de voir toujours les mêmes ou pas forcément les meilleurs…Je le vis au quotidien et je me le suis fait dire par des responsables de différentes manifestations (en France, au Maroc, ou ailleurs). Pour moi cela pose question ! J’ai abordé ce thème avec humour et un peu de colère…mais autant en rire !
René Lacaille (èk Marmaille).
Peut-on dire que votre album et plus généralement votre carrière musicale se partage entre enracinement et ouverture ?
Oui, c’est exactement ça. Je ne conçois pas la musique sans partage…
J’ai eu beaucoup de chance durant mon parcours, j’ai croisé sur ma route des gens comme Bob Brozman, Debashish et Subashish Bhattacharya (avec qui j’ai un projet qui va déboucher, je l'espère sur des concerts en Inde...), et aussi Raul Barboza, Antonio Rivas, Joaquin Dias, Richard Galliano ou encore Manu Dibango, Cheikh Tidiane Seck … Et je n’oublie pas Jacques Higelin qui m’a souvent invité à monter sur scène.
Parmi les plus jeunes, il y a un Pierre-François « Titi » Dufour (rencontré grâce à Lionel Suarez), grand violoncelliste et batteur incroyable qui joue notre musique comme il respire.
                                            Propos recueillis par Frantz-Minh Raimbourg
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