Hommage à Fayo (Mario LeBlanc).

Publié le par Raimbourg Frantz-Minh

En juillet 2007, j'étais avec l'ami musicien et journaliste Patrick Plouchart aux Déferlantes Francophones de Capbreton (Landes), festival de taille humaine dirigé par Maurice Segall et dédié aux musiques francophones d'Amérique du Nord.
Nous avions interviewé Roland Gauvin (Un des piliers du groupe mythique Acadien 1755) et Fayo. Ils allaient se produire tous les deux sur scène avec d'autres artistes dans le cadre du spectacle "L'Ordre du Bon Temps"
Mario LeBlanc dit Fayo fut l'un des chanteurs acadiens les plus importants de sa génération et son disque "La Fièvre des Fèves" sorti au début des années 2000 a marqué la chanson et la musique.
Fayo vient de rejoindre les étoiles a 47 ans. Pour lui rendre hommage, voici ci-joint l'entretien paru à l'époque dans la défunte revue Ethnotempos.
Hommage à Fayo (Mario LeBlanc).
Hommage à Fayo (Mario LeBlanc).
                       .ROLAND GAUVIN, FAYO  ET « L'ORDRE DU BON TEMPS ».
 
Seule soirée (sur les quatre du festival) consacrée à l'Acadie et aux musiques traditionnelles, le concert de « l'Ordre du Bon Temps » fut annulé en raison d'une météo désastreuse.
Mais ces sacrés Acadiens ne s'avouèrent pas vaincus et ils nous ont offert sous un petit chapiteau bondé et pendant plus de deux heures une vraie «  party d'cuisine  ».
Tantôt en solo, tantôt les uns avec les autres, les chanteur.se.s et musiciens ont enchaîné  instrumentaux et chansons à répondre dans une ambiance survoltée. De la voix enracinée de Roland Gauvin à l'enthousiasme du violon de Dominique Dupuis en passant par les racines néo-traditionnelles de Vishten, les histoires urbaines de Fayo et la sensibilité de Jac Gautreau,  les différents  artistes ont présenté une Acadie multiple qui prend sa source dans le simple plaisir de jouer et de chanter ensemble.
Retour sur ce spectacle tonifiant avec deux de ses principaux acteurs.
 
Comment est née l'idée du spectacle « L'Ordre du Bon Temps » ?
Roland Gauvin : Cela a commencé en 2004,  l'année où l'Acadie était l'invitée d'honneur du Festival Interceltique de Lorient. Nous avions monté à ce moment là au Grand théâtre, avec entre autres Angèle Arsenault et  Lennie Gallant de L'Île-du-Prince-Edouard, un spectacle du nom de « l'Ordre du Bon Temps », basé sur les fameuses « Party d'cuisine » de chez nous où les familles, les musiciens se réunissaient ensemble dans une maison du village et où la musique se faisait jusqu'aux petites heures du matin. C'était des moments de grande joie, de partage, c'était aussi une façon d'oublier la misère de l'époque …
Fayo : Il faut expliquer que lorsque Samuel De Champlain est  arrivé en Acadie avec les 80 premiers colons en 1604, il y avait beaucoup de travail à faire et la vie n'était pas facile. Il a décidé de rassembler la communauté chaque semaine en créant « l'Ordre du Bon Temps ». C'était une manière  de s'encourager, de se distraire, de se rencontrer. Et cette tradition, sous différentes formes, a perduré et existe encore dans certaines régions.
RG : Il y a deux ans, et suite au succès du concert de 2004, nous avons décidé de reprendre cette formule, sous la direction artistique de Jac Gautreau et en partie avec des artistes que nous connaissons depuis longtemps. Cela nous a facilité le travail pour monter ce spectacle, produit par François Emond des Productions de l'Ombre et épaulé par Sébastien Clavette en tant que directeur de production.
Pour tous ceux qui ont vu évoluer le spectacle, il y a une fusion entre vous  qui n'existait pas forcément les premières fois !
RG : Cela fait longtemps qu'on se connaît. Chez nous, le monde de la chanson et des musiques traditionnelles est petit, c'est comme une grande famille. Je considère Fayo comme mon fils, peut-être qu'eux me considèrent comme un père (rires). En tout cas, je me sens valorisé par ces jeunes, j'ai l'impression d'avoir encore quelque chose à apporter et je prends beaucoup de l'énergie des autres.
Fayo : On a fait beaucoup de «boeufs» ensemble, il y a des amitiés qui se sont tissées. J'adore Vishten, j'aime beaucoup ce que fait Dominique Dupuis, je suis fan depuis longtemps de Roland Gauvin et c'est un plaisir fou de se retrouver sur scène avec eux.
Le fait d'appartenir à la même communauté joue-t-il dans cette fusion ?
Fayo : Je pense que oui. Quand j'avais seize ans, je savais déjà que j'étais acadien. Mais lorsque j'en parlais autour de moi, on me disait: «De quoi tu parles ?»
Après le premier "Congrès" en 1994, tout le monde s'est  souvenu de notre histoire commune.
RG : « Le Congrès Acadien », qui a lieu tous les quatre ans est un événement qui injecte de l'énergie, c'est un catalyseur. Mais il y a besoin aussi d'autres choses, il faut aller plus loin.
Aujourd'hui et plus que jamais, les artistes de chez nous circulent et voyagent, mais l'Acadie, ce ne sont pas seulement les vieilles chansons, c'est aussi Gérald Leblanc, c'est Fayo...c'est un «pays» constamment en mouvement.
Il y a 25 ans, un journaliste me demandait: «Penses-tu que les gens écouteront encore votre musique dans trente ans et que vos chansons feront partie du patrimoine ?» J'avais répondu que si cela s'avérait, j'en serai vraiment heureux. Maintenant, je m'aperçois que c'est devenu effectivement une réalité. Ce n'est pas encore du folklore mais cela viendra (rires) !
Fayo : Le répertoire du groupe 1755 dont faisait partie Roland appartient maintenant à la culture populaire. Le respect qu'ont les Acadiens pour ce groupe et pour ce qu'ils ont donné chez nous est impressionnant. Personnellement, c'est eux qui m'ont donné envie de jouer de la guitare et d'écrire des chansons.
Pensez-vous que le spectacle « l'Ordre du Bon Temps » met en valeur chaque artiste pour que chacun puisse s'exprimer plus personnellement par la suite ?
Fayo : Certainement, le discours acadien de Roland n'est pas le même que le mien. On s'influence, on s'inspire, on s'apprend des choses mais ce que chacun véhicule est différent. Nos cinq formations et Jack Gautreau représentent un portrait sensible de l'Acadie actuelle. Pour moi, chacun à son bagage, on finit juste par mettre toutes les valises dans le même avion !
RG : Parfois, dans ce genre de show, on se sent obligé de monter des pièces qui doivent symboliser des choses, même si elles ne font pas partie de notre répertoire. Ce que j'aime beaucoup dans ce spectacle, c'est qu'il est monté à partir de nos chansons, de nos travaux respectifs.
Nous sommes une grosse production puisque nous sommes treize sur scène. Cependant, les spectateurs qui viennent nous voir disent souvent qu'ils ont l'impression d'être dans une cuisine ou un salon. La même vigueur se dégage qu'on soit sur une grande scène ou sous un petit chapiteau, comme hier soir (rires).
Est-ce que « l'Ordre du Bon Temps » peut  accueillir  d'autres artistes et  évoluer d'une manière différente ?
Fayo : Il est vrai que le spectacle actuel est composé d'artistes avec qui nous travaillons depuis longtemps. Mais on partage notre musique avec le public, pas seulement pour nous seul et matériellement, nous avons tous nos propres tournées. Si une des formations actuelles ne peut être présente à  un moment donné, il faudra bien demander à d'autres musiciens et chanteurs de se joindre à nous.
C'est donc plutôt un état d'esprit ?
RG : Tout à fait. C'est un respect mutuel pour le travail de chacun.
J'ai l'impression qu'on pourrait intégrer aussi des musiciens cajuns ou même français, à condition tout de même qu'ils fassent une musique qui puisse nous rattacher tous ensemble.
Fayo : Il y a tellement de choses qu'on pourrait faire avec un show comme cela !
RG et Fayo : Nous ferons peut-être un DVD. Sur un CD, il n'y aurait pas toute cette force que l'on ressent lors du spectacle.
Les liaisons que vous faites entre les titres sont des  histoires, un fil conducteur. A certains moments, Roland est presque un conteur ?
Fayo : Pour nous les plus jeunes, c'est une chance d'avoir quelqu'un qui a l'expérience de Roland ou Angèle Arsenault au tout début. Cela nous permet de grandir avec eux, d'une bonne façon.
Quel est le regard des francophones non acadiens (français, québécois...) sur ce spectacle ?
Fayo : Entre le Québec et l'Acadie, il y a tellement de différences...
Les français connaissent très bien les cajuns et les québécois. En ce  qui nous concerne, j'ai vraiment l'impression qu'ils commencent seulement à découvrir notre histoire, notre culture depuis  quelques années et les «retours» des spectateurs sur ce qu'ils ont vu et entendu sont très positifs.
Quels sont vos rapports avec les Cajuns de Louisiane ?
Fayo : Le mot cajun vient du mot acadien. Pour nous, ce sont comme des cousins.
RG : J'ai eu l'occasion d'aller en Louisiane à plusieurs reprises et j'ai le souvenir d'avoir présenté des spectacles avec des cajuns. L'énergie était comparable à celle qui existe dans « l'Ordre du Bon Temps ».
Peut-on imaginer que vous repreniez ensemble des chansons ou des musiques acadiennes qui ne soient pas de vous ?
Fayo : C'est tout à fait envisageable. Personnellement, j'ai un plaisir fou à chanter les chansons des autres sur scène. Je pense à « Grand Pré » d'Angèle Arsenault, à des pièces de Zachary Richard comme « Le Lac Bijou » ou « Réveille ».
Je pense que c'est partout pareil. Si tu vas au Québec, tout le monde voudra chanter « La Complainte du Phoque en Alaska » de Michel Rivard. 
En 2004, au moment du dernier « Congrès Acadien » et des célébrations du 400ème anniversaire de l'Acadie, il y a eu beaucoup de projets musicaux montés pour l'occasion. Qu'est-ce qui différencie votre spectacle des autres ?
RG : « L'Ordre du bon Temps », c'est la fête, la spontanéité organisée, il y a des pièces jouées toujours de la même façon, mais il y en a d'autres où il y a des moments d'improvisation, des variations. En fait, c’est «un boeuf» structuré et un peu contrôlé (rires).
Pour toi Fayo, comparativement à Dominique Dupuis, Vishten et Roland Gauvin, tu es un auteur-compositeur-interprète moins impliqué dans la tradition musicale acadienne. Comment gères-tu cela dans le spectacle ?
Fayo : J'ai toujours été passionné par l'histoire de l'Acadie et je voyage beaucoup dans ce pays. Je ne joue pas du violon, mais j'ai écouté beaucoup de musiques acadiennes, même à une époque où cela se faisait moins que maintenant. Par cet  intérêt, mon inspiration  existe, elle ne s'entend pas forcément dans la musique mais si tu écoutes bien les paroles, les références au pays, à son histoire et à ses pratiques sont bien là.
Je  sais aussi que je ne peux pas rester  ancré seulement dans cette tradition, parce que si j'arrive en France ou au Québec, j'ai envie que le public me comprenne.
Cette passion pour l'Acadie, je ne la comprends pas toujours moi-même. Parfois, je regarde l'océan et j'imagine toujours un bateau partant quelque part...
RG : « L'Ordre du bon Temps », ce n'est pas à la base seulement du folklore, c'est un spectacle qui veut permettre au public de découvrir une partie du visage de l'Acadie d'aujourd'hui.
Jack Gautreau et Fayo font une musique actuelle, éloignée de la tradition. Tout à sa place.
A l'époque du groupe 1755, nous avions quelques pièces anciennes modernisées, mais le reste était du folk, du rock, de la country.
C'est après que ma passion pour les musiques traditionnelles s'est développée, surtout la complainte. C'est une forme musicale qui n'est pas tellement jouée. Vishten, Dominique Dupuis et d'autres groupes acadiens comme Grand Dérangement n'en font pas. Ces chansons existent et je les ressens comme mes propres pièces.
Fayo : On peut créer tout seul,  mais tu t'enrichis toujours des autres. Quand on est jeune, on a besoin d'avoir du monde autour de soi qui va te guider dans la bonne direction. Après on se sent plus fort. Pour moi le plus beau cadeau que je n'ai jamais eu, c'est d'écouter quelqu'un et de se retrouver dans une situation où il est comme un frère.
RG J'aimerai dire à Fayo que notre relation ressemble à celle que j'avais avec mon ami le poète Gérald Leblanc qui est décédé en 2005. On ne se voyait pas parfois pendant des années et quand on se retrouvait, c'était comme si la conversation datait d'hier. C'est de l'amitié.
 
                                                             Frantz-Minh Raimbourg
                                      Propos recueillis par Patrick Plouchart et Frantz-Minh Raimbourg aux «Déferlantes Francophones» de Capbreton en juillet 2007.
Déferlantes Francophones de Capbreton. Juillet 2007 : Entretien avec Fayo et Roland Gauvin par Patrick Plouchart et Frantz-Minh Raimbourg
Déferlantes Francophones de Capbreton. Juillet 2007 : Entretien avec Fayo et Roland Gauvin par Patrick Plouchart et Frantz-Minh Raimbourg

Déferlantes Francophones de Capbreton. Juillet 2007 : Entretien avec Fayo et Roland Gauvin par Patrick Plouchart et Frantz-Minh Raimbourg

Publié dans Chanson Francophone

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