Sidi Bémol et L'Attirail.

Publié le par Raimbourg Frantz-Minh

Entretien croisé avec le musicien/auteur/interprète/dessinateur/caricaturiste algérien et le compositeur/leader du groupe « l’Attirail » à l’occasion de la sortie de leurs albums respectifs et du concert parisien au Studio de l'Ermitage le 12 octobre.
Sidi bémol. (Photo : Frank Loriou)

Sidi bémol. (Photo : Frank Loriou)

Xavier Demerliac. L'Attirail. (Photo : Eric Botrel)

Xavier Demerliac. L'Attirail. (Photo : Eric Botrel)

Quels ont été vos parcours musicaux à chacun ?
Xavier Demerliac : Je suis Breton et j’ai fait de la musique depuis mon enfance, entre autres au conservatoire de Brest. Je me suis installé à Paris après mon bac, j’ai suivi des études d’économie avant de devenir enseignant. A 30 ans, j’ai voulu changer de vie et je suis devenu compositeur et musicien à plein temps.
En 1994, j’ai fondé L’Attirail avec Jean-Stéphane Brosse. Dès ses débuts, le groupe se voulait uniquement instrumental. Cela s’est fait naturellement, nous étions  influencés par les musiques de films, des compositeurs comme Nino Rota, Ennio Morricone et des musiciens venus des Balkans comme Goran Brégovic.
Sidi Bémol (Hocine Boukella à l’état-civil) : Je suis né à Alger dans le quartier de Belcourt. A la maison, on écoutait beaucoup de musiques, qu’elles soient du pays ou d’ailleurs. Jeune adulte, j’ai commencé à jouer de la guitare dans les milieux artistiques d'avant-garde et à publier mes premières bandes dessinées qui ont été rapidement interdites par la censure. Au milieu des années 1980, j’ai débarqué à Paris pour parfaire un doctorat de génétique des populations. Après les manifestations d’octobre qui ont eu lieu cette année là en Algérie, j’ai quitté le monde de la science pour me consacrer à l’art, en publiant des dessins de presse dans diverses revues et à la musique en montant un groupe de rock. C’était une période compliquée entre les petits boulots et la clandestinité due à des problèmes de papiers.
L’Association L’Usine à Arcueil a été une étape importante dans l’évolution de la carrière de Sidi bémol ?
SB : C’était un lieu créé en 1997 avec des amis artistes qui pour beaucoup arrivaient d’Algérie. Il y avait des locaux de répétition et d’enregistrement, des ateliers de peintres et de graphistes. C’est pendant cette période que nous avons appris nos métiers, que nous nous sommes professionnalisés. Beaucoup de groupes français et algériens sont sortis de là, le plus connu étant l’Orchestre National de Barbès. Il y a eu aussi Gaâda Diwane de Bechar, Mad in Paris, Raï kum, Thalweg et d’autres… L’Attirail a également enregistré son premier disque à L’Usine. J’avais croisé Xavier là-bas mais sans vraiment le connaître. C’est une vingtaine d’années plus tard quand il m’a invité à chanter sur ses disques que nous nous sommes rendus compte que nous avions un passé commun (rires) !
En 2007, quand l’aventure L’Usine a pris fin, j’ai fondé le label CSB Productions pour produire ma musique et celles d’artistes que j’aime et apprécie comme Abou Diarra, Maria Teresa et le Moustaki Quartet, Electric Bamako ou récemment les Guappecarto qui rendent hommage aux compositions du Croate Vladimir Sambol. Depuis 2008, nous sommes installés à Malakoff, dans les locaux de Musiques Tangentes, une des  plus anciennes écoles françaises de "musiques actuelles".
Comment se passe la réalisation d’un disque de L’Attirail ?
XD : Au départ, c’est un travail très personnel. Pour plusieurs raisons : je suis compositeur, c’est ce que j’aime faire depuis toujours et le studio d’enregistrement est chez moi. Quand les morceaux sont suffisamment avancés, je contacte les autres membres du groupe, on avance ensemble, on essaye des mettre des mots sur des musiques qui resteront instrumentales afin de donner une orientation plus précise à chaque titre.
Sur scène, L’Attirail propose actuellement des ciné-concerts sur des films muets  comme « The Freshman » (Vive le sport) et « Safety Last » (Monte là-dessus) d’Harold Lloyd, « The Lodger - a Story of the London fog » d’Alfred Hitchcock, « Le Fantôme de l’Opéra » (1925) de Rupert Julian, « l’Eventail de Lady Windermere » de Ernst Lubitsch ou encore «Trois sublimes canailles » de John Ford et  "Grass : A Nation's Battle for Life" (l'Exode) par Merian C.Cooper et Schoedsack.
SB : Travailler avec Xavier est très agréable. On est un peu hors du temps. Comme il le dit, la progression se fait au rythme de chacun, sans aucun impératif… Et puis, il me donne l’occasion de chanter dans la langue que je veux sur des musiques où il n’y a pas forcément un couplet et un refrain.
Xavier Demerliac (L'Attirail) et Sidi Bémol (Photo : Ira Wizenberg)

Xavier Demerliac (L'Attirail) et Sidi Bémol (Photo : Ira Wizenberg)

Les premiers albums de L’Attirail étaient tournés vers les musiques de l’Est ?
XD : Il faut se remettre dans le contexte de  l’époque : au milieu des années 1990, nous avons vécu l’ouverture de l’ancien Bloc de l’Est avec enthousiasme. Même si nous connaissions certaines formations comme le Taraf de Haidouks, nous avons commencé à explorer de façon plus précise les musiques souvent entraînantes et joyeuses de ces régions.
Et ensuite ?
XD : Il y a eu une « Trilogie du Grand Ouest », une sorte de road movie imaginaire qui va aux sources du mythique territoire américain (« Wilderness ») en passant par celui rebelle de la deuxième moitié du 19ème siècle avec ses personnages hauts en couleurs  (« Wanted Men » ) jusqu’au début du XXème siècle (« Wire Wheels ») et les bouleversements entraînés par les débuts de l’automobile.
Les opus suivants se veulent une bande sonore entre est et ouest. Notre musique évolue et chaque nouveauté est différente et complémentaire, il n’y a pas de rupture radicale.
J’insiste sur le fait que nous n’avons jamais eu la prétention de faire de la musique de l’Europe de l’Est ou d’ailleurs. Nos disques ont toujours été pensés plutôt comme des voyages musicaux sans destination précise avec une volonté de créer des passerelles entre différentes régions du monde.
Les musiques de Sidi Bémol sont également souvent  des voyages entre différents univers ?
SB : Quand je réalise un album et même si cela reste des chansons, j’essaye de l’imaginer comme une bande originale. Il y a toujours eu un mélange de musiques traditionnelles et populaires d’Algérie (gnawi, chaabi, etc.) avec du rock, du blues, de la musique celtique. J’ai également consacré deux CD aux chants de marins du monde adaptés en kabyle avec la complicité du poète Ameziane Kezzar (« Izlan Ibahriyen. Volumes I et II) et un conte musical intitulé «L’Odyssée de Fulay »  mis en scène par Ken Higelin.
Sidi Bémol et L'Attirail.
Sidi Bémol et L'Attirail.
Parlons maintenant de vos derniers albums parus sur le label CSB Productions !
XD : J’aime bien imaginer des histoires du passé, d’une époque où il existait encore cette idée de l’inconnu. L’opus précédent (« How to swim in the Desert ») flirtait joyeusement avec le ska. « Footsteps in the Snow » mélange voyages, aventures et suit le parcours pas banal de  personnages mythiques et non-conformistes à travers la planète. Nous nous sommes agrandis géographiquement (sourire). L’Attirail, C’est également Chadi Chouman (guitare, banjo, bouzouki), Eric Laboulle (batterie), Alexandre Michel (clarinette, flûtes, monocorde), Clément Robin (accordéon, claviers) et plusieurs invités. Sidi Bémol, déjà présent sur la galette précédente est à nouveau à nos côtés, il signe plusieurs textes et chante en kabyle, en anglais et en roumain.
SB : « Chouf » (Regarde !) est très sobre musicalement, avec  une énergie rock et blues et des rythmiques traditionnelles. C’est un peu un retour aux sources puisque le rock est la première musique qui m’a donné envie de chanter et de prendre une guitare. Il y a eu 2 résidences pour les répétitions puis 4 jours d’enregistrement en Angleterre, aux studios Real World sous la direction artistique du guitariste Justin Adams, enregistré (en live) et mixé par Tim Oliver. Je suis accompagné de mon frère bassiste Youssef Boukella et du batteur Maamoun Dehane, tous les deux membres de l’Orchestre National de Barbès, de mon compagnon de route et guitariste Abdenour Djemaï et du oudiste virtuose Hakim Hamadouche. Les 13 chansons évoquent la Révolution du Sourire qui a lieu depuis février 2019 en Algérie, la jeunesse pleine de ressources de ce pays en qui je porte un regard plein d’espoir et aux femmes et à la place qu’elle devrait avoir dans la société. « Chouf » se veut optimiste malgré la corruption, l’omniprésence des religions et les évènements  pas toujours heureux qui se déroulent actuellement sur notre planète.
Xavier Demerliac. L'Attirail. (Photo : Eric Botrel)

Xavier Demerliac. L'Attirail. (Photo : Eric Botrel)

Sidi bémol. (Photo : Frank Loriou)

Sidi bémol. (Photo : Frank Loriou)

Vos activités ne se limitent pas à vos groupes musicaux respectifs ?
SB : Je n’ai jamais cessé mon travail de dessinateur et j’ai publié plusieurs recueils de dessins sur mon blog : « Le Zembrek ».
XD : Dès les débuts de L’Attirail, j’ai été contacté par des réalisateurs, des metteurs en scène pour faire des musiques de films ou de spectacles et je continue encore aujourd’hui. J’ai aussi des activités dans l’illustration sonore que ce soit pour Radio France International ou des éditeurs de librairie musicale et je suis programmateur musical du Chenal, un lieu breton dédié aux musiques que nous aimons.
                                             Entretien réalisé par Frantz-Minh Raimbourg.
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